jeudi 5 septembre 2013

Nox, de Yves Grevet

Nox
Yves Grevet
Editions Syros
Ma note : 5/5 ♦ 358 pages ♦ 16,90€
 

Résumé éditeur : 
Dans une ville basse enveloppée d’un brouillard opaque – la nox –, les hommes sont contraints de pédaler ou de marcher sans cesse pour produire leur lumière. Comme l’espérance de vie y est courte, la loi impose aux adolescents de se marier et d’avoir un enfant dès l’âge de dix-sept ans. Lucen a peur de perdre celle qu’il aime, la rebelle Firmie, qui refuse de se plier à la règle. Il sent aussi ses meilleurs amis s’éloigner de lui. L’un d’eux, Gerges, s’apprête à rejoindre la milice qui terrorise les habitants, un autre, Maurce, un groupe hors-la-loi. C’est l’heure pour Lucen de faire des choix qui détermineront toute son existence. Au même moment, dans des territoires épargnés par la nox, la jeune Ludmilla ne se résigne pas au départ forcé de Martha, la gouvernante qui l’a élevée, injustement renvoyée par son père. Elle décide de tout tenter pour la retrouver.

Avant propos : Cette chronique sera rédigée selon une structure différente des précédentes, de manière plus poussée, recherchée et précisée. Ce n'est qu'un extrait du travail d'étude réalisé dans le cadre du séminaire de Littérature Générale et Comparée sur la Dystopie, pour mon travail sur le thème de "La misère comme catastrophe dans les dystopies contemporaine" sur 3 oeuvres dystopiques en différents formats : Nox, de Yves Grevet; Métronom, de Corbeyran et Grun, et Ethnicity 01. Sa taille, et son développement, en font donc un travail présenté de façon unique et inhabituelle sur le blog. 

Ma lecture : 
Yves Grevet a déjà écrit une dystopie à succès, avec la trilogie Méto sortie en 2008 et récompensée par de nombreux prix, parmi lesquels les prix des villes de Bagneux, Orly et Narbonne, et le prix Tam-Tam. Méto raconte l'histoire de soixante-quatre enfants, répartis en quatre classes d'âge (les Bleu clair, les Bleu foncé, les Violets et les Rouges), qui passent quatre années enfermés dans une grande maison aux règles de vie très rigides et méticuleusement définies, où le sport - étonnant jeu de l'Inche auquel on joue à quatre pattes, la balle entre les dents... - et l'instruction - cours de biologie et d'agriculture essentiellement - tiennent une grande place. Parmi ses enfants aucun n'a de souvenirs de son passé, mais tous sont persuadés qu'ils ont beaucoup de chance d'être hébergés dans la Maison et vivent dans la hantise que leur lit ne "craque" - les lits sont extrêmement fragiles. Car dès lors qu'un Rouge dépasse la taille réglementaire et brise son lit, il sort de la Maison et on ne le revoit plus jamais. Ce monde dystopique adressé aux enfants dès 12 ans a instauré dès lors les valeurs qui feront son écriture : des écrits sur la tolérance, les liens familiaux, la solidarité, l'apprentissage de la liberté, de l'autonomie et la résistance à l'oppression. Ses lecteurs ont ainsi découvert et assimilé le style particulier d'Yves Grevet pour attendre son nouveau livre, Nox, sorti en 2012. Très bien reçu par les collégiens, il a reçu la pépite d'or, prix du salon du livre jeunesse et de la presse de Montreuil en décembre.

L'originalité de ce nouveau titre de dystopie, est que les enjeux sont tournés sur le quotidien des membres de cette société plutôt qu'une catastrophe ou un évènement fantastique. Sa force, c'est le courage de ses personnages pour affronter leurs destins parmi les autres, dans une société où la misère s'ignore. Dès les premières pages du récit on découvre les éléments qui font de ce récit un livre dystopique : on est plongé dans ce monde dans le noir, à l'aveugle, où le héros, Lucen, doit pédaler pour écrire son devoir. Le sujet de ce devoir pour l'école, "Pourquoi faut-il accepter sa condition sociale?" et les réactions qu'il provoque nous montrent habilement les règles de cette société lorsque sa mère répond "Tu dois marquer : Premièrement, parce que ne pas avoir à faire des choix, ça évite d'en faire des mauvais. Deuxièmement, parce que c'est plus simple de faire le même métier que ses parents, puisqu'on baigne dedans depuis tout petit et qu'ils peuvent nous former et nous aider. Et enfin, troisièmement, mais il y en a sans doute d'autres, parce qu'un monde où personne ne désire la place de l'autre est un monde sans conflit." ce à quoi le père rétorque "C'est exactement ce que les professeurs veulent entendre et tu le sais bien, Lucen, ils veulent juste que tu récites le cours. N'essaie pas de te distinguer des autres. Reste dans la norme, tu éviteras les problèmes." Ensuite, le héros raconte comment fonctionne l'énergie mécanique qui les alimente en lumière, grâce aux chainettes qu'ils ont attachés aux pieds depuis toujours. Dans ce monde, tout est fait pour s'orienter dans le noir, comme les codes attacher aux murs, avec des noeuds différents pour s'orienter en reconnaissant la rue. Le terme dystopie se justifie lorsqu'on voit que le bien être du groupe passe avant celui de l'individu avec, notamment, la manière de fonder une famille. Les jeunes filles de dix sept ans doivent être déjà enceintes lorsqu'elles épousent leur compagnon, profitant que leurs parents quittent exprès le domicile familial tous les dimanches pour leur laisser l'occasion de procréer. L'espérance de vie étant très courte à cause du nuage de pollution, les filles ne pouvant tomber enceintes doivent quitter la ville, et toutes celles qui le peuvent doivent se marier le plus tôt possible pour passer leur vie à mettre au monde des enfants qui ont peu de chances de survivre à cause des problèmes respiratoires.

La milice est un élément très important de l'intrigue, puisqu'elle terrorise les habitants de la ville qui n'osent sortir de chez eux après la nuit tombée. Une résistance se crée pour s'opposer à eux et les enfants doivent choisir dans quel camps s'enrôler : ceux de leurs pères, farouchement engagés, ou ceux qui défendent les principes auxquels ils croient. Gerges est le fils du chef de la milice, il est obliger de rentrer dans ses rangs et de perpétrer des violences contre les habitants de sa ville avant de trouver le courage pour choisir son destin. Après les mariages imposés et arrangés entre les niveaux sociaux des familles (la place occupée dans l'altitude du village expliquant le niveau social de la famille, se dégradant
plus elle se trouve en bas de la pente, dans la Nox.) ce sont aussi les misères du marché noir et du réseau de travail clandestin que l'on découvre. Les échos à des passages de l'Histoire de la France et du monde sont nombreux et imposent au jeune lecteur de réfléchir, en accord avec les principes que cherchent à défendre l'auteur, comme la lutte contre l'oppression avec la description de la milice totalitaire ou la solidarité entre ces enfants que tout oppose en grandissant.

La misère de ces nouvelles sociétés
Dans Nox, de Yves Grevet, le monde n'est pas en danger, et Lucen, habitant de la ville du dessous, découvre cependant la lente catastrophe qui arrive à sa ville : tous vivent dans la misère et le brouillard de pollution alors que les habitants du haut, ceux qui sont au dessus de la Nox, vivent dans la richesse et l'opulence. Tout oppose ces deus sociétés, une opposition qui prend forme dans l'énonciation elle-même. On remarque en effet que les mots sont écorchés dans la société du dessous : tous les prénoms, comme Lucen, Gerges, Firmie, et Katine, ont perdu des lettres, comme le pain devenu "pan" et toutes les denrées élémentaires qui sont créées artificiellement, avec des goûts de synthèse. Lorsque les enfants de la ville basse et de la ville haute se rencontrent, ils comparent et découvre ces différences de langage "Je comprends tout à coup qu'à l'instar des produits de consommation, nous ne sommes considérés que comme de bonnes imitations des originaux. Nous ne méritons donc pas de porter un prénom complet." Lucen, enfant pauvre, reçoit une nuit la fille venue de la ville d'en haut, et celle ci à son tour découvre son monde fait de pauvreté et de compromis "Je profite de la semi-pénombre qui règne dans la maison pour glisser un médaillon en or sous l'oreiller de Lucen. Même si, pour eux, cela représente beaucoup d'argent, pour moi ce n'est qu'une manière un peu facile de payer ma dette. A cet instant, je me fais le serment que bientôt j'agirai vraiment pour eux et ceux qui lui ressemblent. Je découvre en m'approchant de la table du petit déjeuner que c'est mon ami qui fournit l'éclairage en pédalant. Le haut de son corps est parfaitement immobile et il parle sans s'essouffler. Sa petite soeur me tourne autour. Elle veut absolument voir mes cheveux. Je défais mon foulard et elle plonge son nez dedans pour les sentir. Je suis pour elle comme un animal de zoo. Je sens les parents fébriles. Tant que je suis là, je représente pour eux un danger. La mère me donne un petit pain sombre que je parviens difficilement à avaler tant le goût est désagréable. Je me force pour ne pas la vexer."

Dans ce roman, la misère est tout l'enjeu, puisque ceux d'en bas vont se battre pour répartir de façon égale les richesses et sortir de leur situation sociale. On la retrouve principalement dans la très courte espérance de vie, le caractère dénaturé des aliments et des mots, allant même jusqu'à écorcher les prénoms, et la difficulté à trouver du travail pour subvenir aux besoins de sa famille.

Une société prospère basée sur le malheur du plus grand nombre
Dans Nox, les habitants de la ville d'en haut, ceux qui ne sont pas oppressés par le nuage de pollution, vivent dans la richesse extrême, ils ne manquent de rien, ni de denrées ni d'énergie. Les enfants apprennent à l'école qu'ils ont naturellement acquis cette situation et on leur occulte qu'il existe une société à l'opposé, extrêmement pauvre, ou des habitants, surtout des jeunes enfants, meurent tous les jours à cause de l'effort ou du nuage de pollution qui gangrène leurs poumons. La ville des riches étant placés en hauteur, lorsqu'ils pointent le regard vers le bas, à la place de la Nox ils ne voient que des champs de fleurs mauves à perte de vue, un hologramme créé artificiellement pour que tous ignorent comment ils survivent, pourquoi ils ont droit à tant de richesses à se répartir pour si peu d'habitants, et où se trouve la face cachée de leur société idéale. Il n'y a qu'en traversant les champs de fleurs mauves qu'ils peuvent découvrir la vérité, et ainsi, menacer l'ordre établi... Afin de décrire au mieux la situation de misère que la plupart des gens tentent d'ignorer, la
nourrice du personnage riche, Ludmilla, écrit et laisse des lettres qu'elle lui laisse. Ainsi, aussi de cette manière que l'on découvre encore plus de particularités de ce monde pauvre, mais surtout dystopique "[les coivistes] ce sont des gens qui prônent la liberté d'habitation (Chacun Où Il Veut), la solidarité et l'ouverture des frontières entre les zones. On les appelle aussi les réunificateurs. Ils réclament un partage équitable des richesses entre les riches et les pauvres. Ils sont persuadés que la cohabitation est possible et que les ressources sont suffisantes. On trouve dans leurs rangs aussi bien des gens d'en haut que des gens d'en bas. "
Sous la Nox, du côté de Lucen, le héros, cette société fondée dans la pauvreté voit apparaître des opposants de plus en plus virulents contre cette répartition inégale des richesses qui vont jusqu'à recruter de force des créateurs et poseurs de bombes (les Coivistes). Ces bombes visent les miliciens et les lieux de vie pour des actions choquantes, invitant les habitant à se rebeller contre leur mode de vie, contre les miliciens, et contre les habitants d'en haut. Ce sont sans doute les bombes et les actions extrémistes des groupes de miliciens qui vont renverser le monde de Lucen et le mettre en danger. Mais surtout, ces actions vont atteindre leur but et véritablement ébranler l'accord instauré entre les deux sociétés, même s'il est inégalitaire.

Entre ces gens d'en haut qui ignorent l'existence du monde d'en bas, et ceux qu'en bas qui vivent de façon complètement opposée à ceux d'en haut, c'est un conflit qui se prépare pour savoir si les richesses seront redistribuées de façon plus égales. Outre la question de l'énergie mécanique, l'idée est d'imaginer aussi comment vivraient les deux sociétés une fois réunies, ) savoir s'ils auraient assez de denrées pour les distribuer à tous les habitants, et de travail pour réorganiser une nouvelle société les alliant.
Nox est un récit bouleversant qui pose des questions sur la société, son avenir, et les lois absurdes et totalitaires dans laquelle elle pourrait tomber. Un roman aussi qui montre aux enfants qu'en grandissant, ils deviennent maître de leurs choix, et de leurs destinées, quelque soit les règles de société qui leurs sont imposées.

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